Publié le 11 sept. 2020 à 6:03
L'inspecteur de la brigade de répression du banditisme (BRB) regarde la bande de vidéosurveillance défiler sur l'ordinateur. Le faible éclairage des réverbères donne au film un aspect sépulcral. En haut à gauche de l'écran, la date : « 03-10-2016 ». Le policier note : « À 02 h 13 min 06 s constatons qu'une berline noire, susceptible de correspondre à une Peugeot 508, arrive du boulevard Haussmann et tourne à droite dans la rue de l'Arcade… À 02 h 13 min 33 s constatons que les feux de croisement s'éteignent, qu'un individu en sort et se dirige en courant vers la rue Saint-Lazare. » À 500 mètres de là, dans un hôtel du quartier parisien de la Madeleine, une star de la télé-réalité s'apprête à se coucher.
La suite est connue. Ce 3 octobre 2016, peu avant 3 heures du matin, Kim Kardashian, célébrité planétaire, est victime d'un cambriolage dans sa chambre d'hôtel. En moins d'une heure, les voleurs mettent la main sur 9 millions d'euros de bijoux, un record pour ce type de braquage. Quatre ans plus tard, le parquet de Paris vient de clore son enquête et demander le renvoi aux assises de 12 suspects. Les documents que Les Echos Week-End a pu consulter révèlent un scénario à peine croyable, que Michel Audiard aurait adoré écrire en entremêlant Paris la nuit, des papis cambrioleurs un brin branquignols, une pin-up ultraconnectée, un butin de pierres étincelantes, des enquêteurs matois… En voici les meilleurs moments.
Quand la police débarque, ce 3 octobre 2016, dans la suite en duplex du No Address, un hôtel aussi chic que discret de la rue Tronchet, Kim Kardashian est encore sous le choc. « J'ai cru que j'allais mourir », déclare-t-elle à l'équipe arrivée sur les lieux. La chambre est encore plongée dans la pénombre - seule la lumière de la salle de bains l'éclaire. Elle est sens dessus dessous.
Vêtue d'un simple peignoir
La soirée avait pourtant bien commencé pour la célèbre influenceuse, venue à Paris avec sa soeur Kourtney pour assister à la Fashion Week la plus courue de la planète. Après un dîner dans un restaurant branché de la capitale, l'équipe Kardashian a regagné l'hôtel vers une heure du matin pour se changer et ressortir en club. Mais Kim, fatiguée, est restée. À 2 h 30 du matin, la vedette, vêtue d'un simple peignoir, épluche ses e-mails allongée sur son lit. En bas, sa fidèle habilleuse, Simone Bretter, dort déjà. Un dernier post aux 180 millions d'abonnés de son compte Instagram et Kim Kardashian s'apprête à regarder un film sur son iPad. Après tout, il est encore tôt pour la jet-setteuse. Le lendemain, de toute façon, elle pourra dormir dans le jet privé qui ramènera toute la troupe à Los Angeles.
Comme la chambre est calme - seule la lumière de la rue entre par la grande baie vitrée -, les pas tonitruants qui retentissent dans l'escalier intérieur étonnent la mannequin-femme d'affaires. « Je croyais que ma soeur et Stéphanie [une amie, NDLR] étaient rentrées ivres et faisaient du vacarme. J'ai dit 'Hello', mais comme personne n'a répondu j'ai compris que quelque chose n'allait pas », raconte la victime aux enquêteurs. Kim Kardashian n'a pas le temps de s'interroger bien longtemps. Dans l'encadrement de la porte, deux hommes apparaissent en tenue de policier, arme aux poings. Leurs yeux sont incongrûment dissimulés sous des masques de… ski. Ils tiennent fermement par les bras le concierge de l'hôtel. « Je croyais que c'étaient des terroristes venus pour m'enlever, continue la plus adulée des Kardashian, qui avait vaguement redouté ce déplacement. J'avais eu un pressentiment quand nous sommes partis de Los Angeles, Kourtney a eu un problème avec son passeport avant d'embarquer, je me suis dit que quelque chose de mauvais allait arriver. C'était un sentiment profond : tous les soirs à Paris, je faisais une prière en remerciant que rien ne nous soit arrivé. »
Une bague à 3,5 millions
Terrorisée, Kim Kardashian se précipite sur son téléphone pour composer le… 911, numéro d'urgence de la police aux Etats-Unis. « Je ne connaissais pas le numéro de la police française », confesse-t-elle. Les malfaiteurs aussitôt lui retirent l'iPhone et la jettent sur le lit. « Ring, Ring », hurlent-ils dans un anglais approximatif, mâtiné d'un fort accent français en montrant leur doigt. « What, What ? » répond la star en panique. Le concierge traduit : « Ils veulent votre bague ! » Celle que son mari, le rappeur milliardaire, Kanye West lui a offerte pour leurs fiançailles, un caillou à plus de 3,5 millions d'euros dont la star de télé-réalité avait copieusement étalé la photo sur les réseaux sociaux. Kim Kardashian indique sa table de nuit. Un des malfrats s'empare aussitôt du bijou.
C'est alors que le téléphone abandonné par l'infortunée fortunée se met à sonner. « Money, money », exhortent les détrousseurs qui commencent à s'énerver. « J'étais frénétique, je hurlais, je pleurais, je suppliais. Je leur disais de me laisser, que j'avais des bébés et j'allais tout leur donner », raconte l'Américaine. « Shut up ! » lui intime le concierge, qui comprend que le garde du corps a dû être alerté par Simone Bretter, réveillée par les cris de sa patronne. Le commando de truands le comprend aussi. « Chut, you, ok ? »ordonne le plus petit. Il faut faire vite.
Il s'empare de la star et la menotte avec un lien de type Serflex. « Il m'a prise par les jambes et mon peignoir s'est ouvert alors que je n'avais rien en dessous… Il m'a tirée vers le bout du lit et à ce moment-là j'étais certaine qu'il allait me violer », hoquette Kim Kardashian. Mais le bandit n'est guère intéressé par la plastique de la vedette, il lui ferme aussitôt les jambes à l'aide d'un rude ruban adhésif qu'il applique aussi, fermement, sur sa bouche. Il la prend ensuite par les bras et l'entraîne dans la salle de bains où il l'allonge dans la baignoire. Pendant ce temps, son acolyte vide le sac à main et le coffre à bijoux. « Allez, on se tire », lance-t-il emportant dans un sac à dos un lot de bagues, colliers, montres et boucles d'oreilles d'une valeur de 9 millions d'euros.
Voilà, c'est fini. Il est 3 h 08. Kim Kardashian réussit à se libérer de ses liens en constatant que ses agresseurs « étaient un peu jeunes dans la façon dont ils [l']avaient attachée ». Encore chancelante, elle dévale l'escalier rejoindre Simone Bretter, qui avait eu le temps, effectivement, d'alerter le garde du corps, parti en boîte de nuit avec le reste de l'équipe.
Une bande mal en point
L'affaire rencontre une résonance médiatique hors du commun. Les télés du monde entier se déchaînent . C'est un coup digne du grand banditisme, paradoxalement semé de bourdes d'amateurs qui vont permettre aux limiers de la BRB de vite remonter la piste. En moins de cinq mois, ils vont identifier une bande de papis cambrioleurs « bien connus des services de police », mais plutôt mals en point. L'aîné du commando a 72 ans ; le chef, 60 ans, est sourd comme un pot ; son acolyte a de graves problèmes cardiaques et la bande, qui vivote, se réunit régulièrement aux terrasses de cafés parisiens.
Les enquêteurs ont commencé par analyser les vidéosurveillances. Si l'hôtel ne dispose pas de caméra à l'intérieur de ses locaux - discrétion oblige -, à l'extérieur, en revanche, le centre de la capitale en est truffé. La pêche est bonne : peu avant le braquage, six personnes suspectes apparaissent à visage découvert, d'autant plus visibles, d'ailleurs, que certaines se sont équipées de gilets de cyclistes fluorescents !
Arme au poing, l'un d'eux a demandé au réceptionniste de leur indiquer l'appartement de la femme du rappeur
Pour les besoins de l'enquête, dans un premier temps, elles vont être baptisées de Xh1 à Xh6. « Vers 02 h 10, un véhicule Peugeot 508 noire conduit par Xh1 a déposé Xh2 et Xh3 presque à l'angle de la rue de Rome… Xh1 s'est ensuite séparé du groupe pour récupérer Xh4… Xh2, Xh3 et Xh4 se sont dirigés pédestrement vers l'hôtel en effectuant un crochet par la rue Pasquier où ils prenaient possession de bicyclettes après s'être équipés de chasubles réfléchissantes… Parallèlement aux cyclistes, deux piétons (Xh5 et Xh6) rejoignaient l'hôtel », détaillent les policiers dans leur premier rapport.
Regroupés, les cinq agresseurs se sont présentés à la réception du No Address, vêtus de blousons siglés « Police », de cagoules et de gants. Arme au poing, l'un d'eux a demandé au réceptionniste de leur indiquer l'appartement de « la femme du rappeur ». Deux vont monter pendant que le reste du commando fait le guet. Après leur « coup », les voleurs se dispersent dans un Paris qui dort encore, sous l'oeil électronique des caméras. Trois enfourchent des vélos - l'un d'entre eux chute au niveau de la rue de l'Arcade.
De nombreux indices
Le lendemain, une employée qui travaille dans le quartier trouve sur le trottoir ce qu'elle pense être une charmante croix en cristal fantaisie. Fière de sa trouvaille, elle la montre à ses collègues intrigués. Une rapide recherche sur Internet leur apprend qu'il ne s'agit pas de pacotille chic, mais d'une croix en platine sertie de diamant d'une valeur de 29.000 euros. Prudente, l'employée la dépose au commissariat le plus proche.
Ce n'est pas la seule trace que les voleurs, Petits Poucets du crime, ont semée sur leur passage. Dans la chambre d'hôtel, distraits, ils ont laissé traîner ruban adhésif, serflex… avec moult traces d'ADN. Parmi celles-ci, l'une « matche » avec le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) sous le nom de Pascal Larbi. Les enquêteurs découvrent que sous cette identité se cache Aomar Ait Khedache, 60 ans, dit « Le Vieux ». Un individu au casier déjà bien rempli, en cavale depuis 2010 après avoir été condamné dans une affaire de stupéfiants. Les enquêteurs pensent qu'il s'agit d'Xh2, le premier cycliste.
Aussitôt les limiers de la BRB mettent en place écoutes téléphoniques, filatures, planques. Une enquête dite « en râteau », dans laquelle un appel révèle un numéro qui en donne un autre… etc. Une dizaine de lignes de « portables de guerre » utilisées par Le vieux, chacune dédiée à un contact, permettent ainsi de remonter dans un premier temps au fils d'Ait Khedache. C'est lui qui conduisait la Peugeot, ses chaussures à bandes blanches resplendissent sur les bandes de vidéosurveillance. « Aomar Ait Khedache observait une grande discipline afin de s'y retrouver dans toutes ces lignes », notent les enquêteurs qui constatent en outre « qu'il ne se déplaçait qu'avec une partie de ces lignes, en fonction de son emploi du temps, les autres étant laissées à son domicile ».
Identification
Une dizaine de suspects finiront par être identifiés. Parmi eux, « Yeux bleus » ou « Beaux Yeux » alias Didier Bubreucq, un « malfaiteur chevronné » déjà tombé pour braquage et trafic de stupéfiant ; François Delaporte, « Le Grand », une vieille connaissance d'Aomar Ait Khedache qui l'aurait mis en relation avec « Le Gros », Marceau Baum-Gertner, un membre de la communauté des gens du voyage qui effectuera plusieurs déplacements vers la Belgique, sans doute pour écouler le butin. Yunice Abbas, enfin, déjà connu pour hold-up mais sans doute pas pour ses exploits sportifs : c'est lui qui est tombé de vélo.
Le 5 décembre, la fine équipe se réunit dans un café du XIIe arrondissement de Paris. Ce jour-là, ils doivent se distribuer une avance sur le butin car Le Vieux piaffe. Rien n'avance comme prévu. Le Gros ne parvient pas à revendre la came aussi vite qu'il l'avait promis ; Le Grand essaye de calmer le jeu. De loin, planqués dans une voiture banalisée, les enquêteurs prennent la photo de famille qui trône aujourd'hui en bonne place dans le rapport d'enquête.
Au cours du mois de décembre, l'ambiance se tend entre les complices. « C'est à la fin du bal qu'on paie les musiciens… et des fois, les musiciens, ils sont mal payés », lâche l'un d'eux sur les écoutes. « Ouais, ben oui, normal. C'est des Einstein, que des plus et des moins, des multiplications par des divisions, tu connais la salade », philosophe un autre, laissant entendre que le conflit portait sur la répartition des gains tirés de la vente des bijoux.
Une affaire si simple
Le 9 juillet 2017, la BRB siffle la fin de la partie. Les écoutes ont révélé que l'équipe prépare un autre coup dans le XVIe arrondissement de Paris. Les policiers décident donc d'embarquer tout le monde. En garde à vue, d'abord rétifs, seuls Yunice Abbas et Aomar Ait Khedache finissent par reconnaître leur participation au braquage mais, fidèles à la règle du milieu, refusent de trahir leurs complices. Le reste de la bande nie en bloc.
J'ai tout de suite été emballé. C'était une affaire très simple. Ca n'était pas un truc violent. C'était pas un braquo quoi
Sur son procès-verbal d'audition, Aomar Ait Khedache donne les clés de ce braquage aussi fou qu'iconoclaste : « Ce n'était pas un gros vol à main armé. Il suffisait de neutraliser le veilleur de nuit et d'accéder à la chambre », explique-t-il sans apparemment avoir conscience de l'ampleur que pourrait prendre l'affaire. Il connaît à peine Kim Kardashian, son informateur - les enquêteurs soupçonnent le frère d'un chauffeur que la star employait à chacun de ses voyages - lui a parlé de « la femme du rappeur ». Alors de là à imaginer le maelstrom médiatique… Et puis c'était trop tentant : « L'affaire proprement dite était donnée sur Internet, avec tout. Les bijoux présentés sur Internet, précisant qu'elle ne portait pas de faux bijoux, les horaires quand elle venait en France. Il suffisait de regarder sur Internet pour tout savoir. Absolument tout. » Alors forcément… « J'ai tout de suite été emballé. C'était une affaire très simple. Ca n'était pas un truc violent. C'était pas un braquo quoi. »
Une belle leçon
Kim Kardashian, traumatisée, attendra deux ans avant de revenir en France. Pendant l'enquête, c'est le juge d'instruction parisien qui s'est déplacé aux Etats-Unis pour l'auditionner. Le butin n'a jamais été retrouvé, malgré des traces en Belgique et aux Etats-Unis. La bague aurait été revendue pour un montant de 400.000 euros, mais n'a jamais été récupérée, tandis que les autres bijoux, d'après Aomar Ait Khedache, auraient été fondus.
L'histoire a malgré tout une forme de morale, résumée par la victime lors de son audition : « Ma perception des bijoux maintenant, c'est que je n'y tiens plus comme avant. Je n'ai plus les mêmes sentiments. En fait je trouve que c'est même devenu comme un fardeau, d'avoir la responsabilité de posséder des bijoux aussi chers. Certains des articles avaient une vraie valeur sentimentale. Mais en fin de compte, j'ai ma vie. Aucun objet n'a une valeur sentimentale comparable au fait de rentrer chez soi et de retrouver ses enfants, sa vie de famille. »
September 11, 2020 at 11:03AM
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Récit : le mystère des bijoux de la Kardashian - Les Échos
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